A est une amie, une amie croisée sur un forum il y a 12 ans. Comme l’autre A, elle a une histoire toute particulière.
Pendant des années, elle a vécu une vie normale et tranquille. Elle a eu deux filles, magnifiques, douces, tendres et rebelles.
Et un jour, sans prévenir, comme ça au volant, brutalement le flash. Le mauvais flash. La crise d’angoisse est allée de paire, évidemment.
A a été abusée quand elle était enfant. Violemment les souvenirs affluent, l’assaillent et la laissent chancelante. En une fraction de seconde, elle a perdu tous ses repères, et a vu son enfance voler en éclat. Tout ce qu’elle prenait pour acquis est parti en lambeaux, tout ce dont elle pensait se souvenir est un écran de fumée misérable.
A va pleurer des litres de larmes. Des litres. Elle va penser qu’elle en mourra bientôt. La souffrance est telle qu’elle sombre. Et puis, elle regarde ses filles et la rage monte, doucement, dans la douleur mais l’instinct de protection prend le dessus sur tout le reste.
Plus rien d’autre ne compte que de soustraire la chair de sa chair à cet homme dangereux, à ce prédateur, à ce pédophile. Le mot est froid, tranchant, acide.
Elle a pleinement conscience du cataclysme qu’elle va déclencher. Des années de silence, des années d’oubli pour sa part. Elle a la sensation d’avoir ouvert la boîte de Pandore et d’avoir libéré un monstre ignoble et ingérable.
La libération de la parole lui était vitale, pour elle, pour ses enfants, mais elle fût brûlante.
Et douloureuse. Elle a dû se heurter au déni. Ses proches l’ont rejetée. Il y avait évidemment ceux qui ne pouvaient y croire, un homme aussi bien, aussi respectable et aimant, elle déraillait, elle voulait attirer l’attention sur elle.
Et il y avait ceux qui savaient, qui avaient toujours su, et n’avaient rien fait. Peur de faire tâche, peur des conséquences pour la famille. Et elle alors ? J’avoue que la rage prend le dessus quand je pense à ceux-là. La rage, l’envie dingue de les gifler très fort, de leur hurler dessus. Comment ont-ils pu ?
Ils se sont détournés. Et elle en a eu mal à en crever.
La reconstruction a été longue, et fragile. Les retours en arrière ont été nombreux. Et pourtant, chacune de ses photos pue l’amour. Elle a su garder la foi. Elle a su maintenir le cap, garder sa cape et éloigner ses filles du prédateur, les préservant tout en répondant à leurs questions avec douceur et sans concession.
La vie, cette sale garce parfois.
A a eu du mal à s’en remettre, vraiment. Elle s’est inquiétée pour toutes les petites filles susceptibles de croiser son chemin. Elle a eu le ventre retourné en apprenant que certains, qu’elle avait pourtant alertés lui confiaient les leurs. Elle a eu du mal à accepter qu’elle ne pourrait pas sauver tout le monde, que ce n’était pas sa responsabilité.
Le dialogue rompu, la bombe lâchée, elle a entamé une thérapie, pour sortir tout ça, tenter de déposer quelques valises.
Et les retours en arrière sont toujours là, mais elle a appris à faire avec, à les accepter.
C’est une guerrière, une vraie, qui a su se relever de cette épreuve terrible, bon an mal an. Qui ne vous dira jamais qu’elle en est sortie grandie. Qui a su faire ce qu’il fallait, peu importe les conséquences.
Je la regarde souvent de loin, je vois sa mèche bouclée qui tombe en cascade, j’entends ses cris silencieux, et je me contente d’un mot, d’un seul, pour qu’elle sache que je saigne avec elle à chaque fois que la blessure se rouvre, parce que quand on a mal, rien n’est pire que d’être seule. Parce que je ne peux rien faire de plus pour elle. Parce que je rêverai de la serrer fort contre moi, parce qu’elle en aurait sûrement besoin, mais que même si j’étais géographiquement près, je ne sais pas si j’oserai.
Fucking respect ma belle.